La cabane du "jardinier"

Toute demeure qui se respecte se doit de posséder un jardin. Il se peut que ce jardin ne soit qu'une pale copie de la demeure - à son image donc - mais certaine demeure ne peuvent se contenter d'un simple jardin à leur image.
Beaucoup d'éléments peuvent se dégager d'un jardin ... beaucoup d'éléments qui pourraient donner une première lecture, de ce que réserve la demeure ...

En ce point, les jardins de la "Colline" ne pouvaient être qu'une pale copie. Véritable œuvre végétale, une première lecture plurielle, de tout horizon, mais aussi troublante, floue - à son image, peut-être - mais plus complexe qu'il n'y parait. Le jardin oriental en est la preuve : parmi les différents jardins travaillés à la "Colline", voici surement celui que préfère le vieux Blackwood ...

En orient, les jardins comportent quatre parties, les quatre parties du monde, au milieu desquelles se trouve la vasque, l'eau sacrée, le nombril du monde. Tout membre de la CNC ne peut nier une attirance pour cette vasque : une vasque en pierre volcanique, d'un gris anthracite profond, pour mieux signifier qu'aucune lumière n'existe dans les entrailles de la terre ... mais paradoxe en ce monde, la terre ne vit sans eau ...

Aussi dans ce jardin où chacun possède une place, où chacun appartient à une partie, tout le monde se réunit sur un pied d'égalité en son centre.

Voilà maintenant quelques minutes que Blackwood admire l'eau, paisible, de la vasque. L'anglais est comme hypnotisé par les ondes régulières, comme bercées par les tumultes des entrailles de la Terre ...

"Nous sommes bien petits ... "

Comme happés par ses mots, Blackwood ferma un instant les yeux, comme pour mieux saisir le mouvement des vaguelettes, conscient de la force qu'elles dégagent, aussi minime soit-elle dans cette vasque, mais que serait-elle à l'échelle d'une mer ?

" Vraiment petit ... et pourtant capables de grandes choses ... quoique. Trêve de bons sentiments ! ... c'est bon pour moi aujourd'hui ! J'ai rendez-vous ! A plus tard. "

Le capitaine parlait effectivement à la vasque, ou du moins à son occupante. Mais est-il tant insensé de penser que toute forme mobile sur terre serait dénuée d'une âme ?
Alors que certains peuples colonisent ces terres au nom d' "Un" qu'ils n'ont jamais vu, Blackwood vénère celle qu'il peut voire à perte de vue en pleine mer, celle qui convient de ne pas froisser, pour peu que l'on souhaite arriver à bon port ...

Nicanor avait les yeux d'un loup en se frayant un chemin à travers la végétation du Paradis. Le couchant rougeoyant conférait à ses prunelles un écarlate saisissant et si peu coutumier de croiser...

Ah! Là-bas, cette plante qui marche, aux fleurs touffues et amples, ça ne pouvait être que Blackwood, qu'il rejoint en reprenant un train de marche classique.

Et ils restent toujours semblables, hocha-t-il vers la tignasse fameuse, quand il pleut ou quand il vente?

Il s'acheva d'un sourire un brin sardonique, dont le paradoxe était qu'il demeurait teinté de chaleur, ce plissement des lèvres, durant lequel il osculta d'un arc du regard les alentours.

Entre nous, c'est dans un jardin que vous comptez suivre langage avec moi? J'eus pensé à un endroit plus conforme à ma personne, dès lors, surtout pas à un Paradis, mais à la confidentialité d'un enfer.

" L'enfer dites-vous ? Il semblerait que les Salons de Dame Blandine soient complet ... notre Poète y fait relâche avec son équipage !"

Blackwood se tourna vers cette voix qui ne lui était pas inconnue, non sans une petite joie à peine dissimulée ... puis tendant la main, il fit fasse au capitaine Nicanor :

" Capitaine, heureux de voire que vous répondez positivement à mon invitation - puis regardant sa main - je ne serai pas rancunier, si vous préférez ne pas la serrer, cela fera un point de chaque côté ! Haha ! "

Il lui serra la main avec une lueur inexorable dans les iris.

Tu ne sais pas, capitaine, de quoi ma main est le véhicule, il se peut qu'en acceptant la vôtre, je marque ce point, monsieur Balckwood.

Il aima s'offrir le luxe de le jauger longuement dans sa réaction.

Alors?

"Alors ? Et bien nous compterons les points plus tard ... je suis encore inquiet des choses étranges que j'ai du extraire de la gueule du Chien ... et je crains que cela soit arriver il y a peu, je n'ai pas eu le temps de me laver la main ... "

Blackwood regarda sa main, encore serrée dans celle de Damic :

" Mais passons ! Je vois que tu me tutoies, nous avons donc gagné une étape !"

Blackwood "reprit" sa main, puis invita Damic à avancer dans les allées.

" Je dois passer récupérer un paquet un peu spécial chez notre jardinier. Suis moi, peut-être que toi aussi tu trouveras quelque chose d'intéressant chez cet homme plutôt ... surprenant !"

L'Embrumé se mit en marche, sans vraiment prendre le soin d'attendre une réponse de la part de Damic ...

Ce qui tombait bien, parce qu'hormis un vouvoiement mesquin, il n'avait rien à répondre, lors, il suivit. Il y avait certaines plantes qui tendaient leurs excroissances en quête de caresses, et le voyant, Nicanor sourit en gageant qu'une nymphe l'invitait ainsi à d'étranges joyeusetés.

Nenni cependant, il ne céda pas à la chair mythologique, et se saisit avec un "clac" infime d'une tige, qu'il effeuilla en chemin.

" Méfies-toi ! Au delà de l'innocence de certaines d'entre elles, il y a des beauté qui ne se contentent pas que d'une caresse ... mais ça, vous devez le savoir."

Blackwood eut un regard plein de malice pour son interlocuteur :

"Certaines laissent également échappées quelques pistils dans les recoins des habits ... tu en retrouveras peut-être plus tard, comme témoignage de leur affection ... Haha ! Difficile de se séparer de telles beautés ... la nature est bien faite ! "

Nicanor se retourna, fit mine ostensible de chercher du regard, et de trouver quête floréale dans une touffeur verdoyante, avant de revenir un instant plus tard.

Hmmm, oui, je vois : des pistils, du genre de ceux là-bas, je présume. Vous avez la main verte, tant que ça? Moi, j'ai celle qui va traîner dans les fourrés.

" Oh je vois ! Et bien, grand bien t'en fasse, même si certains fourrés sont propices aux nids de guêpes ... "

Les deux hommes avançaient en bons pas cadencés, vers ce qui semblait être une bâtisse plutôt élégante, agréable à l'œil du quidam esthète en ces terres.

La cabane du "jardinier" Sicile198ok8

" Réflexion faite, cabane était peut-être un peu ... réducteur ! Après toi Damic, je te présenterai le maitre des lieux ... "

Son pas avait stoppé en apercevant sa destination, avant de reprendre gauchement et de se ressaisir, comme si de rien n'était. Tellement "comme si" qu'il ne dit mot.

Une voix rauque retentit soudain, venant du perron de la battisse ...
Il s'agissait de Santino, le jardinier italien de la "Colline" :

" Blackéwood ! Tou as lé toupé de revenir ici ! Cours canaille ! Cours é stoupido ! "

Blackwood saisit la main de Damic, l'air affolé, prêt à partir en courant :

" Ne bouge pas l'ami ! Ça n'sera pas long ! Ce jardinier ... disons que ... nous nous saluons d'une manière plutôt ... insolite ! "

Sur ces mots, Blackwood se mit à courir à l'opposé de la battisse. Il fallait le voire, le vieil anglais, courir comme un âne ... le voire et l'entendre ! Le vieil anglais disparaissait vers l'entrée des Quartiers, sans se retourner quand Santino apparut, armé d'un tromblon.
Le jardinier de la "Colline" était un homme assez corpulent, a la moustache noire très finement soulignée. On aurait volontiers pu confondre l'homme avec le chef cuisinier, ce qui n'aurait pas été une insulte, tant l'italien maniait aussi bien la poêle que le râteau :

" Blackéwood ! Cours saligo ! Yé té rattraperai quand même ! - puis se tournant vers Damic, le tromblon tenu d'une main, l'autre battant l'air au fil des mots - Eh toi ! Tou viens aussi pour ces stoupides herbes ? Ça pou cé trouc ! C'est oune insoulte à mon talent ! Mais reste ici ! Yé révient ! "

Et sans attendre la réponse, car elle importait peu sur le moment, Santino se mit à courir en direction de l'entrée, lui aussi, où un homme venait d'arriver ...

Poings serrés et maugréant de mâchoire, ledit batave resta un temps stoïque, avant de cracher son agacement, puis partir. On pouvait le voir, s'éloigner vers le loin, la bâtisse, la tête baissée et les bras croisés.

L'enfer avait fait que les arbres avaient déserté petit à petit, si bien que, là, sous le soleil endiablé, on le devinait, de loin, avoir disparu à l'ombre d'un survivant sylvestre, derrière la demeure, et sans doute s'adossa-t-il au tronc pour pester son ire.

» Question de "physique" ...