Un capitaine se présente

Thomas Van de Prüijt se tient mal assuré sur le seuil du siège de la Compagnie Noire des Caraïbes. Sa démarche est chancellante et aggrave sa mise défraichie, témoignant de soirées vivantes et d'au moins un combat à mort. Sa barbe éternellement naissante vieillit son visage de trentenaire couperosé.
-Tu es sûr, Albus? On pourrait pas revenir après la sieste, là j'ai la tête comme le culot de ma pipe...
Son second soupire... Lui est plutôt bien fait et vétu avec une élégante simplicité. Son regard vif étincelle d'une intelligence certaine mais s'assombrit par un voile de dédain lorsqu'il s'adresse à son supérieur.
-Sauf votre respect capitaine, mais nous avons déjà discuté de ça... Il nous faut appartenir à une confrérie si nous voulons que notre espérance de vie se compte en semaines plutôt qu'en jours. Vos derniers plans bien qu'ingénieux n'ont pas rencontré les succès escomptés.
Le mépris à peine dissimulé qu'Albus avait mis dans le mot "ingénieux" glissa sur son capitaine comme un ivrogne sur un parquet ciré.
-Ouais, ouais... Enfin, j'sais pas trop...
Le regard de Van de Prüijt se vitrifie un instant tandis que ses mains ramenent machinalement une petite flasque de sa poche. Albus s'en saisit prestement et la dissimule dans sa gabardine.
-Pas ici, capitaine! souffla-t-il entre ses dents serrées.

John sortait de la "Colline" avec ses trois fidèles lieutenants. Ils regagnaient le Black Silver. Il venaient juste de faire leur rapport sur la (superbe) prise de T**** aux représentants de la Compagnie Noire.
Alors qu'ils venaient tout juste de passer la porte, ils virent arriver un jeune capitaine et son second.

Automatiquement, plus par reflexe que par crainte des nouveaux arrivants, Cyrilus, Vinicius et Gonzague les encerclèrent discrètement. Gonzague avait déjà la main sur sa dague, Vinicius sur son amre à feu. Cyrilus était attentif aux moindre mouvements des inconnus.
Puis, John demanda au capitaine :

Bonjour très cher, bienvenue au sein de la CNC. Puis-je vous demander la raison de votre présence ici?

Le capitaine Van de Prüijt ouvrit la bouche puis fut frappé par toute la dimension de la question et son regard se perdit dans le vague. Albus, au terme d'un bref instant s'avança.

-Bonjour Monsieur. Voici le capitaine Thomas Van de Prüijt, sujet et corsaire des Provinces Unies. Je suis Albus son second. Nous sommes arrivés il y a quelques jours d'Europe. Un bref passage dans la ville de Monforum nous a appris l'existence de la CNC et nombreux vantent votre hospitalité aux nouveaux arrivants en ces eaux.

Van de Prüijt semblait avoir sombré corps et bien dans la conversation et son second remercia le ciel d'être épargné par les divagations éthiliques dont le capitaine était coutumier.

-Le capitaine est un brin fatigué par nos derniers jours en mer, mais j'ai toute sa confiance afin de le suppléer dans les affaires officielles. N'est ce pas, capitaine?

Ce dernier émergea contre toute attente et sourit avec gratitude à son second.

-Oui, c'est exactement ça. Albus est très fort pour tout ça, d'ailleurs, il faut que je vous raconte la fois à Cumana où...
-Oui Capitaine, je suis sûr que tous seront ravis d'entendre vos exploits dès lors que le protocole aura été respecté. coupa Albus un cheveu avant que son supérieur ne hisse la grande voile sur la mer du radotage.
-Il se trouve que nous souhaiterions solliciter vos conseils et mieux connaître votre confrérie. Nombreux en sont les membres qui suscitent l'admiration et nous serions honorés de les rejoindre si d'aventure nous en étions jugés éligibles.

Albus avait noté la mécanique bien huilée du groupe de son interlocuteur et songea avec amertume qu'il avait beaucoup à apprendre. Il avait persuadé le capitaine de venir sans arme, tant pour éviter les "accidents" que pour présenter une attitude humble. Sa vulnérabilité conséquente commençait à lui faire regreter son choix...

Après avoir examiner un peu plus les deux hommes et qu'ils se soient présentés, John toussa un coup, et ses trois lieutenants revinrent tout doucement vers lui.

Puis, il dit à voix basse dans l'oreille de Cyrilus

Ils ne sont pas armés, nous n'avons rien à craindre pour l'instant. Vas cherchez la Néreide.

Puis, s'adressant aux capitaine Van de Prüijt:

Notre hospitalité?!! Et d'où tenez vous de telles choses?

Et après un instant de réflexion, il conclut:

Des conseils? POurquoi pas, mais rien ne vaut plus que l'expérience en mer.

Mieux nous connaitre? Mais pourquoi? Moi même au fond j'ignore qui nous sommes....

Nous rejoindre? Après tout....

Soudain un matelot arriva en courant et s'arreta en vue des cinq hommes face à face. Il s'approcha avec circonspection de Van de Prüijt et d'Albus, prenant garde de tenir ses mains très éloignées de la poignée de son sabre.

-Euh... Capitaine, Albus... Il y a quelqu'un au bateau qui a demandé à vous voir de manière urgente. Il vient de la part de... euh... Le matelot sortit un morceau de parchemin de sa poche et le déchiffra avec application. Du "Poète à la barbe fleurie".

Le visage de Van de Prüijt s'illumina instantanément.

-Lui? On ne l'a pas encore pendu? Ca pour une surprise... Albus, on y va! Il faut que je te présente au "Français"!

Le capitaine fit demi-tour et mit le cap sur le port poussé par la brise de l'enthousiasme. Son second médusé se retourna vers son interlocuteur et lui jeta un regard impuissant.

-Veuillez m'excuser, je... J'espère pouvoir revenir dans de meilleures conditions. Et il ajouta mezzo vocce Quand j'aurais fait disparaitre cet imbécile...

Il reprit un ton normal et s'inclina devant le Capitaine Julius.

-Je vous salue, Monsieur. Je suis vraiment confus de la tournure que prends cette discussion et vous prie une fois encore d'accepter mes plus plates excuses.

Albus s'en repartit le coeur lourd, conscient que son supérieur venait une fois de plus de lui faire rater une opportunité...

Voyant le capitaine Van de Prüijt s'enfuir d'un seul coup à l'annonce de cette visite, John lui demanda:

Attendez! Je ne sais rien de vous. Et puis qui est ce capitaine poète? Pourqoi lui en voulez vous?